*
<< - Je ne critique pas tout dans votre ouvrage, mon cher Flaubert. L'histoire est bonne et tous les ingrédients sont là. Pourtant, la sauce ne prend pas. C'est la forme qui ne colle pas. Le message ne passe plus.
- Mais mes descriptions ?, protesta Flaubert.
- Justement ! Tout le monde les saute, vos descriptions? Vous passez à côté d'occasions formidables ! Vous ne parvenez même pas à caser un spot.
- Un spot ?
- Oui, vous déstabilisez vos lecteurs. Vous les privez de leur environnement socio-affectif. Comment voulez-vous être concurentiel face à Sabatier, à Santa Barbara, à Supercopter ou à JR ? Tenez, votre Emma, quand elle meurt, ça n'en finit pas. Le public ne peut plus gober ça. Voulez-vous que je vous dise ? Quand elle meurt, Mme Bovary, le lecteur, lui, zappe !
- Il zappe ?
- Oui, il zappe d'une chaîne de télévision à l'autre, d'une femme à l'autre, d'un livre à l'autre et ça, monsieur Flaubert, c'est mauvais pour Audimat. >>
*
Pauvre Madame Bovary !, contrainte de se réveiller et de s'extirper de son lit des années 1857, pour venir épauler Flaubert dans son lourd challenge : la refaire vivre bien des mois plus tards, à notre époque ( 1988 plus précisement, date de la publication du roman ). Entre sponsors et hauteurs du Top50, la belle ira se perdre en Amérique,entre viols et désillusions, et verra son destin se construire au fur et à mesure des contrats publicitaires.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'auteur ne manque pas de culot ! Démonter l'une des figures les plus éponymes de la littérature française, la tourner en dérision, il faut tout de même oser le faire ! Cependant, sous cette provocation se cache une critique cinglante de l'évolution de la société, particulièrement des milieux de la culture et du showbiz. Le plus épatant, c'est que cette "radio" complète du squelette des années '88 reste, 22 ans plus tard, particulièrement pertinente.
Niveau style, rien de mirobolant, mais une écriture qui se laisse apprécier avec plaisir, en esquissant un demi-sourire ironique ( si si, il faut bien avouer, certains passages sont vraiment drôles ), et qui tend même par courts passages à imiter l'ami Flaubert ! Une lecture plaisante donc, et une idée originale et intéressante que cette " réecriture " ( qui n'en est pas vraiment une, et tiendrait plutôt d'une mise en abîme complètement dingue ! ). Ce n'est, il est indéniable, pas l'oeuvre du siècle, mais elle en reste néanmoins un ouvrage agréable !
Lâchons donc nos repères habituels, prenons un peu de recul, regardons cette Emma Bovary complètement perdue ( comme toujours d'ailleurs ^^' ) évoluer dans l'univers décalé de la célébrité et des agents... fichtre que c'est bon :D